Le bruit du moteur était assourdissant, Keith entendit tout juste la voix du major qui lui disait de sauter. Il s’élança alors à travers le vide dans le noir de la nuit ; le vent sifflait à ses oreilles et la pluie lui cinglait le visage. Ce n’était pourtant pas son premier saut, un simple entraînement avec ses compagnons du 13° RDP, cependant quelque chose le troublait. Il comprit soudain l’origine de son malaise : la lune était nouvelle, les seules lueurs que ses yeux percevaient étaient les remparts de Carcassonne au loin et la piste de l’aérodrome.
Il ne savait pourquoi mais cela lui faisait penser à sa mère, il ne l’avait pas connue, tout ce qu'il avait appris sur elle était résumé sur la photo qu’il portait contre son cœur : une svelte jeune femme au regard bleu, « Mes yeux », et aux cheveux roux ; à l’arrière du cliché était inscrit « En souvenir de notre folle nuit sur les docks de Dublin », « Ma patrie ? »…
Il fut tiré de sa rêverie par un choc qui lui coupa la respiration.
« Oauch ! Mais qu’est ce qui se passe ?? Hein ?? Le déclenchement d’urgence ! Bon dieu Myrrdin vérifie l’altitude ! », s’écria-t-il.
Une fois au sol, il roula en boule son parachute et le glissa sous des feuillages pour le camoufler. Il courut ventre à terre entre les broussailles, jusqu’à la lisière de la forêt toute proche. Le sang martelait ses tempes. « Il faut que je reste sur mes gardes », se dit-il.
Deux jours auparavant le capitaine les avaient convoqués :
« Myrrdin, LeGuanec, Sartan, Mesquiolles et Martin, je vous ai demandé de venir car vous êtes les meilleurs des bas gradés. Je dois choisir le plus fort d’entre vous pour l’envoyer à la sélection des troupes d’élites. (il fait une pause) Après demain, vous vous affronterez sur le terrain, celui d’entre vous qui vaincra sera l’heureux élu. Maintenant rompez ! Entraînement pour tous ! »
Son cerveau calculait à toute vitesse. A découvert il n’aurait aucune chance face aux autres, ils lui étaient largement supérieurs dans le maniement des armes à feu, mais dans la forêt il pouvait les surpasser s'il provoquait un corps à corps.
Il revoyait son père, le solide breton, aussi brun que lui, torse nu, luisant de sueur. Dans le bar il affrontait aux poings un colosse qui avait une bonne tête de plus que lui. En même temps qu’il tournait autour de son adversaire il criait des conseils à son fils qui le regardait admiratif perdu au milieu des autres marins : « Quand il a plus d’allonge, il faut toujours venir au corps à corps pour qu’il perde son avantage »…
Ses mots raisonnaient encore dans son crâne quand un choc sourd retentit à quelques centimètres de son oreille gauche. « Merde ! Le Guanec ! ». Il s’élança dans le cœur de la forêt, et grimpa sur un pin à 2 m 50 du sol. Prêt à bondir, il attendait son adversaire. Ce dernier ne se fit pas attendre, Keith lui tomba alors dessus l’assommant sous le coup. Un reflet troubla son champ de vision sur la gauche pendant qu’il se relevait. Il bondit sur le côté, trop tard la branche s’abattit dans un ample sifflement le blessant à l’épaule. Il roula sur le flanc pour éviter le coup suivant, puis fit une roulade arrière et se rétablit. Mesquiolles lui faisait face.
Pourquoi fallait il qu’il affronte un à un tous ses amis les plus chers parmi les paras ? Son père avait raison, il aurait dû rentrer dans la marine…